jeudi 8 février 2024

LA QUESTION PALESTINIENNE DEVANT LES JURIDICTIONS INTERNATIONALES (Conférence donnée à Tunis le 3 février 2024)

 


Par

Rafaâ Ben Achour

Professeur émérite à l’Université de Carthage

Juge à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples

           

Le règlement pacifique des différends internationaux est un principe fondamental du droit et des relations internationaux consacré par l’article 2§2 et par le chapitre VI de la Charte des Nations unies et par plusieurs autres instruments internationaux.

Si les Etats recourent les plus souvent aux modes politiques de règlement de leurs différends, surtout la négociation ou le recours aux organismes internationaux, le recours aux juridictions internationales, constitue le mode par excellence de règlement des différends de nature juridique, c’est-à-dire portant sur des questions de droit, notamment l’interprétation et l’application des conventions internationales.

Les juridictions internationales peuvent avoir différentes natures : elles peuvent être générales, et c’est la cas le Cour internationale de justice (CIJ), organe judicaire principal de l’ONU, ou spécialisées comme le Tribunal internationale de droit de la mer, le tribunal administratif de l’ONU, ou, plus spécifiquement, comme la Cour pénales internationale, étant précisé que cette dernière n’est pas un organe de régiment des différends, mais un organe répressif des crimes internationaux les plus graves.

La question palestinienne a pendant longtemps été l’apanage des organes politiques notamment, la SdN et l’ONU. En 1922, le territoire de la Palestine qui relevait de l’Empire ottoman, est mis sous mandat britannique. Le mandat est formellement confirmé par la Société des Nations le 24 juillet 1922 et prend effet le 29 septembre 1923. Il a pour but de rendre effectifs l'article 22 du Pacte de la SdN et les résolutions de San Remo du 25 avril 1920[1]. Le préambule reconnait la responsabilité du Royaume-Uni dans l'application de la déclaration du 2 novembre 1917[2], en accord avec les principales puissances alliées, afin de favoriser l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif. En 1937, la puissance administrante préconise une partition de la Palestine en deux entités : un tiers de la Palestine à l’Etat juif qui, depuis la Galilée, longerait la côte méditerranéenne jusqu’à Jaffa et Tel-Aviv d’une part, et un Etat arabe lié au royaume hachémite de Transjordanie, comprenant la Cisjordanie, la région du Néguev et le littoral de Gaza d’autre part[3].

Après la deuxième guerre mondiale l’ONU s’empare de la question, et l’AG préconise elle-même un plan de partage formalisé le 29 novembre 1947(1). Ce dernier a créé deux États (État juif, État arabe) et érige Jérusalem en zone sous administration internationale[4]. Depuis l’ONU a accaparé la question palestinienne. Dans ce cadre, elle a demandé deux avis consultatifs à la CIJ. Parallèlement, la question palestinienne a fait l’objet de deux requêtes adressées à la CIJ par la voie contentieuse. Enfin, devant la CPI, une enquête est en cours.

I.                          LA QUESTION PALESTINIENNE DEVANT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Nous envisagerons d’abord la voie consultative (A) pour nous intéresser ensuite à la voie contentieuse (B)

A.    La Voie consultative

Conformément à l’article 96 de la Charte des NU[5], une procédure consultative est introduite devant la Cour par le moyen d'une requête pour avis consultatif adressée au greffier par le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies ou le directeur ou secrétaire général de l'institution requérante. Afin d'être éclairée sur la question qui lui est soumise, la Cour a la faculté d'organiser une procédure écrite et une procédure orale. Les organisations et Etats autorisés à participer à la procédure peuvent en principe soumettre des exposés écrits puis, si la Cour le juge nécessaire, des observations écrites sur ces exposés.

Contrairement aux arrêts, et sauf les cas rares où il est expressément prévu qu'ils auront force obligatoire[6], les avis consultatifs de la Cour n'ont pas d'effet contraignant. Il appartient aux institutions ou organes internationaux qui les ont demandés de décider, par les moyens qui leur sont propres, de la suite à réserver à ces avis.

Dénués d'effet obligatoire, les avis consultatifs de la Cour n'en possèdent pas moins une haute valeur juridique ainsi qu'une grande autorité morale. Ils constituent souvent un instrument de diplomatie préventive et ont des vertus pacificatrices. Les avis consultatifs contribuent également, à leur manière, à l'éclaircissement et au développement du droit international et, par ce biais, au renforcement des relations pacifiques entre les Etats

La question palestinienne a fait l’objet, à ce jour, de deux demandes d’avis consultatif, toutes les deux formulées par l’AG des NU. La première demande se rapporte aux conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé. Elle a donné lieu à l’avis du 9 juillet 2004 (A). La deuxième concerne les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé y compris Jérusalem est. Elle est encore pendante à ce jour (B).

a.     Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé

 

L’Assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution ES-10/14 adoptée le 8 décembre 2003 lors de sa dixième session extraordinaire d’urgence, a décidé de soumettre à la Cour, pour avis consultatif, la question suivante :

Quelles sont en droit les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949, et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ?

La résolution demandait à la Cour de rendre « d’urgence » son avis. La Cour a décidé que les Etats admis à ester devant elle, ainsi que la Palestine, l’Organisation des Nations Unies, puis, à leur demande, la Ligue des Etats arabes et l’Organisation de la Conférence islamique, étaient susceptibles de fournir des renseignements sur la question, conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 66 du Statut. Des exposés écrits ont été déposés par quarante-quatre Etats, la Palestine et quatre organisations internationales, dont l’Union européenne. Au cours de la procédure orale, qui s’est déroulée du 23 au 25 février 2004, douze Etats, la Palestine et deux organisations internationales ont présenté des exposés oraux. La Cour a rendu son avis consultatif le 9 juillet 2004.

La Cour a d’abord relevé que l’Assemblée générale, qui lui avait demandé l’avis consultatif, était « autorisée à le faire en vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte ». Elle a ensuite indiqué que la question qui faisait l’objet de la demande relevait de la compétence de l’Assemblée générale, conformément à l’article 10 et au paragraphe 2 de l’article 11 de la Charte. Elle a en outre observé que l’Assemblée générale, en demandant un avis à la Cour, n’avait pas outrepassé sa compétence telle que limitée par le paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte, aux termes duquel l’Assemblée ne doit faire aucune recommandation à l’égard d’un différend ou d’une situation pour lesquels le Conseil de sécurité remplit ses fonctions, à moins que ce dernier ne le lui demande. La Cour s’est par ailleurs référée au fait que l’Assemblée générale avait adopté la résolution ES-10/14 lors de sa dixième session extraordinaire d’urgence, convoquée sur la base de la résolution 377 A (V), qui prévoit que, lorsque le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale peut immédiatement examiner la question afin de faire des recommandations aux Etats membres. Ecartant un certain nombre d’objections d’ordre procédural, la Cour a constaté que les conditions prévues par cette résolution avaient été remplies lors de la convocation de la dixième session extraordinaire d’urgence, en particulier au moment où l’Assemblée générale avait décidé de lui demander l’avis en question, le Conseil de sécurité ayant été alors dans l’incapacité d’adopter une résolution portant sur la construction du mur du fait du vote négatif d’un membre permanent. La Cour a enfin rejeté les arguments selon lesquels un avis ne pouvait être donné en l’espèce au motif que la demande ne portait pas sur une question juridique ou que la question posée était abstraite ou politique.

Ayant établi sa compétence, la Cour s’est interrogée, dans un second temps, sur l’opportunité de rendre l’avis sollicité. Elle a rappelé à ce propos que l’absence de consentement d’un Etat à sa juridiction contentieuse était sans effet sur sa compétence en matière consultative et que le fait de rendre un avis n’avait pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire. La question qui avait fait l’objet de la demande s’inscrivait en effet dans un cadre plus large que celui du différend bilatéral entre Israël et la Palestine et intéressait directement l’Organisation des Nations Unies. La Cour n’a pas retenu davantage l’argument selon lequel elle aurait dû s’abstenir de donner l’avis sollicité au motif que celui-ci pouvait faire obstacle à un règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien. Elle a par ailleurs affirmé disposer de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de donner l’avis et précisé qu’il revenait à l’Assemblée générale d’apprécier l’utilité de ce dernier. La Cour a finalement conclu de ce qui précède qu’il n’existait aucune raison décisive l’empêchant de donner l’avis demandé.

Examinant la licéité en droit international de l’édification du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé, la Cour a d’abord déterminé les règles et principes de droit international applicables à la question posée par l’Assemblée générale. La Cour a rappelé, en se référant au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies et à la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, les principes coutumiers de l’interdiction de la menace et de l’emploi de la force et de l’illicéité de toute acquisition de territoire par ces moyens. Elle a également cité le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui a été consacré dans la Charte et réaffirmé par la résolution 2625 (XXV). S’agissant du droit international humanitaire, la Cour a mentionné les dispositions du règlement de La Haye de 1907, qui ont acquis un caractère coutumier, ainsi que celles de la quatrième convention de Genève de 1949 applicables dans les territoires palestiniens s’étant trouvés, avant le conflit armé de 1967, à l’est de la ligne de démarcation de l’armistice de 1949 (ou « Ligne verte ») et qui avaient, à l’occasion de ce conflit, été occupés par Israël. La Cour a enfin relevé que des instruments relatifs aux droits de l’homme (pacte international relatif aux droits civils, pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant) s’appliquaient dans le territoire palestinien occupé.

La Cour a ensuite recherché si la construction du mur avait porté atteinte aux règles et principes précédemment identifiés. Faisant observer que le tracé du mur incorporait environ 80 % des colons installés dans le territoire palestinien occupé, la Cour a rappelé, comme le Conseil de sécurité l’avait fait à l’égard de la quatrième convention de Genève, que ces colonies avaient été installées en méconnaissance du droit international. Ayant fait état de certaines craintes exprimées devant elle que le tracé du mur préjugea la frontière future entre Israël et la Palestine, la Cour a estimé que la construction du mur et le régime qui lui était associé créaient sur le terrain un « fait accompli » qui aurait pu devenir permanent et, de ce fait, équivaloir à une annexion de facto. La Cour ayant relevé par ailleurs que le tracé choisi consacrait sur le terrain les mesures illégales prises par Israël concernant Jérusalem et les colonies de peuplement et avait conduit à de nouvelles modifications dans la composition démographique du territoire palestinien occupé, elle a conclu que la construction du mur, s’ajoutant aux mesures prises antérieurement, dressait un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et violait de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit.

Examinant par ailleurs l’impact de la construction du mur sur la vie quotidienne des habitants du territoire palestinien occupé, la Cour a considéré que la construction du mur et le régime qui lui était associé étaient contraires aux dispositions pertinentes du règlement de La Haye de 1907, ainsi que de la quatrième convention de Genève, de même qu’ils entravaient la liberté de circulation des habitants du territoire telle que garantie par le pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’exercice par les intéressés de leurs droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant tels que proclamés par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux, culturels et la convention relative au droit de l’enfant. La Cour a encore constaté que la construction du mur, combinée à l’établissement de colonies de peuplement, et le régime qui lui était associé tendaient à modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé et étaient de ce fait contraires à la quatrième convention de Genève et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Rejetant en outre les clauses de limitation ou de dérogation invoquées devant elle et contenues dans certains instruments du droit humanitaire et des droits de l’homme, lorsque des impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public l’exigent notamment, la Cour a indiqué qu’elle n’avait pas été convaincue que la poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait l’adoption du tracé choisi pour le mur, concluant à la violation par Israël, du fait de la construction de ce dernier, de certaines de ses obligations en vertu du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a enfin estimé qu’Israël ne pouvait se prévaloir du droit de légitime défense et de l’état de nécessité, comme excluant l’illicéité de la construction du mur, et a conclu, en conséquence, que la construction du mur ainsi que le régime qui lui était associé étaient contraires au droit international.

Procédant à l’examen des conséquences de ces violations, la Cour a rappelé l’obligation pour Israël de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et les obligations auxquelles Israël était tenu en vertu du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a par ailleurs considéré qu’Israël devait, avec effet immédiat, mettre un terme à la violation de ses obligations internationales en cessant, d’une part, les travaux d’édification du mur, en procédant, d’autre part, au démantèlement des portions de l’ouvrage situées dans le territoire palestinien occupé et en abrogeant par ailleurs, ou en privant d’effet, l’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de l’édification du mur et la mise en place du régime qui lui était associé. La Cour a souligné enfin l’obligation d’Israël de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales affectées par la construction du mur. Concernant les conséquences juridiques pour les autres Etats, la Cour a indiqué que tous les Etats étaient dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur, de même qu’ils ne devaient prêter aucune aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Elle a par ailleurs relevé qu’il appartenait à chacun d’entre eux de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. La Cour a en outre rappelé l’obligation qu’avaient les Etats parties à la quatrième convention de Genève, dans le respect de la Charte et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention. Concernant l’ONU, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, la Cour a enfin estimé qu’ils devaient tenir compte de l’avis consultatif rendu en examinant quelles nouvelles mesures devaient être prises afin de mettre un terme à la situation illicite en question.

La Cour a conclu en replaçant la construction du mur dans un contexte plus général, en relevant, d’une part, l’obligation pour Israël et la Palestine de respecter le droit international humanitaire et la nécessaire mise en œuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et en appelant, d’autre part, l’attention de l’Assemblée générale sur la nécessité d’encourager les efforts en vue d’aboutir à une solution négociée, sur la base du droit international, des problèmes pendants et à la constitution d’un Etat palestinien.

b.     Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé y compris Jérusalem est

Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution A/RES/77/247, dans laquelle, se référant à l’article 65 du Statut de la Cour, elle prie la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif.

Le passage pertinent de la résolution se lit comme suit :

« L’Assemblée générale (…)

Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :

a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?

b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les Etats et l’Organisation des Nations Unies ? »

La demande d’avis consultatif a été transmise à la Cour par le Secrétaire général des Nations Unies par une lettre datée du 17 janvier 2023 et reçue au Greffe le 19 janvier 2023.

Dans son ordonnance datée du 3 février 2023, la Cour a décidé « que l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, ainsi que l’Etat observateur de Palestine, [étaient] jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif ».

Elle a fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur les questions pourraient être présentés à la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut et au 25 octobre 2023 la date d’expiration du délai dans lequel les Etats ou organisations qui auraient présenté un exposé écrit pourraient présenter des observations écrites sur les exposés écrits faits par d’autres Etats ou organisations conformément au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut.

Conformément à l’article 66 de son Statut, la Cour a notamment décidé que la Ligue des Etats arabes, l’Organisation de la Coopération islamique, l’Union africaine, étaient susceptible de fournir des renseignements sur les questions que lui a soumises l’Assemblée générale. Ces organisations ont donc été autorisées à présenter, dans les délais fixés par la Cour dans son ordonnance du 3 février 2023, c’est-à-dire avant le 25 juillet 2023 et le 25 octobre 2023 respectivement, un exposé écrit sur ces questions et des observations écrites sur tout exposé écrit déposé par un Etat ou une organisation.

57 exposés écrits ont été déposés au Greffe de la Cour, dans le délai ainsi fixé par elle. Il s’agit des exposés des Etats suivants  (selon l’ordre de réception) : la Türkiye, la Namibie, le Luxembourg, le Canada, le Bangladesh, la Jordanie, le Chili, le Liechtenstein, le Liban, la Norvège, Israël, l’Algérie, la Ligue des États arabes, la République arabe syrienne, la Palestine, l’Organisation de la coopération islamique, l’Égypte, le Guyana, le Japon, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Suisse, l’Espagne, la Fédération de Russie, l’Italie, le Yémen, les Maldives, les Émirats arabes unis, Oman, l’Union africaine, le Pakistan, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Hongrie, le Brésil, la France, le Koweït, les États-Unis d’Amérique, la Chine, la Gambie, l’Irlande, le Bélize, la Bolivie, Cuba, Maurice, le Maroc, la Tchéquie, la Malaisie, la Colombie, l’Indonésie, le Guatemala, Nauru, Djibouti, le Togo et les Fidji. En outre, la présidente de la Cour a décidé, à titre exceptionnel, d’autoriser le dépôt tardif des exposés écrits du Sénégal, le 28 juillet 2023, et de la Zambie, le 3 août 2023.

Le 23 octobre 2023. La Cour internationale de Justice a décidé de tenir des audiences publiques consacrées à la demande d’avis consultatif sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui s’ouvriront le lundi 19 février 2024 au Palais de la Paix, à La Haye.

C’est dans le cadre de cette procédure consultative qu’il y a lieu de placer le communiqué alambiqué rendu public par le Ministère des affaires étrangères le 10 janvier 2024 et qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité plusieurs interrogations :

Dans le cadre du soutien indéfectible de la Tunisie à la cause Palestinienne juste, il importe au Ministère des Affaires Etrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’Etranger d’informer que suite aux instructions de M. le Président de la République, la Tunisie s’est inscrite sur la liste des pays qui vont présenter des exposés oraux devant la Cour Internationale de Justice, dans le cadre de l'avis consultatif demandé par l'Assemblée Générale des Nations Unies, sur les conséquences juridiques découlant de la violation persistante par l'entité occupante du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées des territoires palestiniens occupés, les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, ainsi que sur l'impact des politiques et des pratiques de ladite entité sur le statut juridique de l’occupation. L’exposé oral de la Tunisie sera élaboré par l’une des compétences nationales en matière de Droit international. Les audiences des exposés oraux débuteront, à partir du 19 février 2024, au siège de la Cour internationale de Justice.

Ce choix émane de la conviction de notre pays de l’importance symbolique de cet avis, sollicité par l’organe onusien le plus représentatif auprès de l’instance judiciaire principale des Nations Unies. Par ailleurs, cet avis dépasse l’incrimination des massacres commis contre les civils à Gaza, abstraction faite à la qualification juridique de ces massacres en tant que génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, pour inclure des questions fondamentales et existentielles pour le peuple palestinien notamment son droit à l'autodétermination et le statut juridique de l'occupation.

De plus, la Tunisie ne souscrit à aucune action judiciaire intentée contre l'entité occupante devant la Cour Internationale de Justice, considérant cela comme une reconnaissance implicite de cette entité.

La première réflexion qui vient à l’esprit à la lecture du communiqué concerne la dernière phrase. A en croire les rédacteurs de ce texte, le fait pour la Tunisie de soutenir ou de s’associer à l’action intentée par la République d’Afrique du sud contre Israël devant la Cour internationale de justice équivaut à une reconnaissance de facto d’Israël. Au regard de toutes les théories de la reconnaissance d’Etat, cette assertion est non seulement erronée mais surtout absurde. Le MAE feint d’ignorer que la Tunisie siège en même temps qu’Israël dans plusieurs organisations internationales comme l’ONU et toute ces institutions spécialisées mais également d’autres organisations non universelles  comme l’Union pour la Méditerranée[7].

Ce qui est encore plus préoccupant dans ce communiqué, c’est son ambivalence, notamment pour le commun des mortels. Il évoque le fait que « la Tunisie s’est inscrite sur la liste des pays qui vont présenter des exposés oraux devant la Cour Internationale de Justice, dans le cadre de l'avis consultatif demandé par l'Assemblée Générale des Nations Unies ». Il est évident que le lecteur lambda ne fait pas la différence entre les différentes procédures engagées devant la CIJ, ensuite et surtout, quelle est la différence entre la participation à la procédure consultative et  le soutien à l’action contentieuse ?

B.    La voie contentieuse

Dans l'exercice de sa compétence en matière contentieuse, la Cour internationale de Justice règle, conformément au droit international, les différends juridiques qui lui sont soumis par les Etats. Un différend juridique peut être défini comme un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts.

Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour. Les organisations internationales, les collectivités et les personnes physiques ne sont pas habilitées à introduire une instance devant la Cour.

La compétence de la Cour en matière contentieuse se fonde sur le consentement des Etats auxquels elle est ouverte1. La forme suivant laquelle ce consentement est exprimé détermine la manière dont la Cour peut être saisie d'une affaire. En effet, la Cour peut être suivi en vertu d’un compromis[8] ou en vertu de traités et conventions comportant une clause compromissoire[9] ou, en vertu de la clause Juridiction obligatoire sur des différends d'ordre juridique[10] ou, enfin d’un Forum prorogatum[11].

A ce jour, la CIJ a été saisie de deux affaires contentieuses concernant l’affaire palestinienne. Toutes les deux sont encore pendantes. La première a été introduite par l’Etat de Palestine contre les Etats-Unis concernant le transfert de l’Ambassade des Etats-Unis à Jérusalem (a). La deuxième est la toute récente requête présentée par la République d’Afrique du sud contre Israël concernant l’application et l’interprétation de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (b).

a.     Le transfert de l’Ambassade des Etats-Unis à Jérusalem

Le, le 28 septembre 2018, l’Etat de Palestine a introduit une instance contre les Etats-Unis d’Amérique devant la Cour internationale de Justice (CIJ) au sujet d’un différend concernant des violations alléguées de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961.

Il est rappelé dans la requête que, le 6 décembre 2017, le président des Etats-Unis a reconnu Jérusalem en tant que capitale d’Israël et annoncé le transfert de l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. L’ambassade américaine à Jérusalem a été inaugurée le 14 mai 2018. La Palestine soutient qu’il découle de la convention de Vienne que la mission diplomatique d’un Etat accréditant doit être établie sur le territoire de l’Etat accréditaire. Selon elle, compte tenu du statut spécial de cette ville, « [l]e transfert de l’ambassade des Etats-Unis en Israël [à] Jérusalem constitue une violation de la convention de Vienne ».

Pour fonder la compétence de la Cour, le demandeur invoque l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne concernant le règlement obligatoire des différends. Il note que la Palestine a adhéré à la convention le 2 avril 2014 et au protocole le 22 mars 2018, les Etats-Unis d’Amérique étant partie à ces deux instruments depuis le 13 novembre 1972. Le demandeur déclare en outre que, le 4 juillet 2018, « conformément à la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et au paragraphe 2) de l’article 35 du Statut de la Cour, [il a présenté] une « Déclaration reconnaissant la juridiction de la Cour internationale de Justice » pour tous différends nés ou à naître relevant des articles premier et II du protocole de signature facultative à la convention de Vienne ».

Au terme de sa requête, la Palestine « prie la Cour de dire que le transfert, dans la ville sainte de Jérusalem, de l’ambassade des Etats-Unis en Israël constitue une violation de la convention de Vienne ». Il prie également la Cour de « prescrire aux Etats-Unis d’Amérique de retirer la mission diplomatique de la ville sainte de Jérusalem et de se conformer aux obligations internationales qui découlent de la convention de Vienne ». Enfin, le demandeur « prie la Cour de prescrire aux Etats-Unis d’Amérique de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à leurs obligations, de s’abstenir de prendre quelque nouvelle mesure qui constituerait une violation de ces obligations et de fournir des assurances et garanties de non-répétition de leur comportement illicite ».

Par ordonnance en date du 15 novembre 2018, la Cour a décidé que les pièces de la procédure écrite porteraient d’abord sur les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête. Elle a fixé au 15 mai 2019 et au 15 novembre 2019, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par l’Etat de Palestine et d’un contre-mémoire par les Etats-Unis d’Amérique.

Il est rappelé dans l’ordonnance que l’Etat de Palestine entend fonder la compétence de la Cour sur l’article premier du protocole de signature facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends (1961), auquel l’Etat de Palestine a adhéré le 22 mars 2018.

Il est indiqué dans l’ordonnance que, par une lettre en date du 2 novembre 2018, Mme Jennifer G. Newstead, conseiller juridique du département d’Etat des Etats-Unis, a informé la Cour que, le 13 mai 2014, comme suite à la «prétendue accession» du demandeur à la convention de Vienne, les Etats-Unis avaient adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une communication dans laquelle ils déclaraient ne pas s’estimer liés par une relation conventionnelle avec le demandeur au titre de la convention de Vienne; qu’elle a ajouté que, le 1er mai 2018, comme suite à la «prétendue accession» du demandeur au protocole de signature facultative, les Etats-Unis avaient adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une communication similaire dans laquelle ils déclaraient ne pas s’estimer liés par une relation conventionnelle avec le demandeur au titre du protocole de signature facultative; que, dans sa lettre, Mme Newstead a relevé que le demandeur avait été au courant de ces communications avant de soumettre sa requête à la Cour; et qu’elle a conclu que, selon les EtatsUnis, «il [était] manifeste que la Cour n’a[vait] pas compétence pour connaître de la requête» et que l’affaire devait être rayée du rôle.

De même et par une lettre datée du même jour, Mme Newstead a informé le Greffe que les Etats-Unis ne prendraient pas part à la réunion que le président avait proposé de tenir le 5 novembre 2018 avec les représentants des Parties.

Le 5 novembre 2018, le président de la Cour a rencontré les représentants de la Palestine. Lors de cette réunion, la Palestine a indiqué souhaiter que la Cour lui adjuge ses conclusions et a exprimé une nette préférence pour la présentation d’un mémoire traitant à la fois de la compétence de la Cour et du fond, au motif que ces deux aspects étaient à son sens étroitement liés, en précisant qu’elle aurait besoin d’un délai de six mois pour l’élaboration de ladite pièce. La Palestine a ajouté que, dans l’hypothèse où la Cour prescrirait un premier tour de procédure écrite consacré exclusivement à la question de sa compétence, un délai de six mois serait pareillement nécessaire aux fins de l’élaboration de sa pièce sur cette question.

La Cour, se référant au paragraphe 2 de l’article 79 de son Règlement, a estimé que, « dans les circonstances de l’espèce et eu égard notamment au fait que, selon les Etats-Unis, la Cour est manifestement dépourvue de compétence pour connaître de la requête de la Palestine, il est nécessaire de régler en premier lieu les questions de sa compétence et de la recevabilité de la requête, et qu’en conséquence il doit être statué séparément, avant toute procédure sur le fond, sur ces questions [et] qu’il échet à la Cour d’être informée de tous les moyens de fait et de droit sur lesquels les Parties se fondent en ce qui concerne sa compétence et la recevabilité de la requête.

En conséquence, la Cour a décidé que les pièces de la procédure écrite porteront d’abord sur les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête et fixé comme suit les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces : Pour le mémoire de l’Etat de Palestine, le 15 mai 2019; Pour le contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique, le 15 novembre 2019.

A ce jour l’affaire est en l’état et aucune information n’est disponible pour savoir si les parties ont déposé leurs mémoires.

b.     L’application et l’interprétation de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza

Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé devant la Cour internationale de Justice une requête introductive d’instance contre l’État d’Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza.

Dans sa requête, l’Afrique du Sud affirme que

les actes et omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire, car ils s’accompagnent de l’intention spécifique requise … de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens » et que, « par son comportement — par l’intermédiaire de ses organes et agents et d’autres personnes et entités agissant sur ses instructions ou sous sa direction, son contrôle ou son influence — à l’égard des Palestiniens de Gaza, Israël manque aux obligations qui lui incombent au titre de la convention contre le génocide ». La demanderesse avance également qu’« Israël, en particulier depuis le 7 octobre 2023, manque à son obligation de prévenir le génocide, ainsi qu’à son obligation de punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide », et « s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza.

L’Afrique du Sud entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour et sur l’article IX de la convention contre le génocide, à laquelle Israël et elle-même sont tous deux parties.

1.     La demande en indication de mesures conservatoires

La requête contient également une demande en indication de mesures conservatoires, déposée conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement.

Selon une jurisprudence constante, « le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties »[12].

L’Afrique du Sud y prie la Cour d’indiquer des mesures conservatoires comme « protection contre un nouveau préjudice grave et irréparable aux droits que le peuple palestinien tient de la convention contre le génocide », et de « faire en sorte qu’Israël respecte les obligations que lui fait la convention de ne pas commettre de génocide, et de prévenir et de punir le génocide ». Aux termes de l’article 74 du Règlement de la Cour, « [l]a demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur toutes autres affaires ».

Les 11 et 12 janvier 2024, la Cour a tenu deux audiences publiques pendant lesquelles elle a écouté les plaidoiries de deux parties sur la demande de mesures conservatoires.

Au terme des audiences, l’agent de l’Afrique du Sud et le coagent d’Israël ont présenté les demandes suivantes à la Cour :

Position de l’Afrique du Sud :

« L’Afrique du Sud, en qualité d’État partie à la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, prie respectueusement la Cour d’indiquer de toute urgence, dans l’attente de sa décision au fond dans la présente affaire, les mesures conservatoires suivantes en ce qui concerne le peuple palestinien en tant que groupe protégé par ladite convention.

Ces mesures sont directement liées aux droits qui constituent l’objet du différend opposant l’Afrique du Sud et Israël :

1) L’État d’Israël doit suspendre immédiatement ses opérations militaires à et contre Gaza.

2) L’État d’Israël doit veiller à ce qu’aucune unité militaire ou unité armée irrégulière qui agirait sous sa direction, avec son appui ou sous son influence, ainsi qu’aucune organisation ou personne qui se trouverait sous son contrôle, sa direction ou son influence, n’entreprenne une quelconque action visant à poursuivre les opérations militaires mentionnées au point 1) ci-dessus.

3) La République sud-africaine et l’État d’Israël doivent, conformément aux obligations que leur fait la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, prendre chacun, en ce qui concerne le peuple palestinien, toutes les mesures raisonnables en leur pouvoir pour prévenir le génocide.

4) L’État d’Israël doit, conformément aux obligations que lui fait la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, en ce qui concerne le peuple palestinien en tant que groupe protégé par ladite convention, s’abstenir de commettre l’un quelconque des actes visés à l’article II de la convention, en particulier :

a) le meurtre de membres du groupe ;

b) les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.

5) L’État d’Israël doit, en application du point 4) c) ci-dessus, en ce qui concerne les Palestiniens, s’abstenir de commettre l’un quelconque des actes ci-après, et prendre toutes les mesures en son pouvoir, y compris l’annulation des ordres et mesures de restriction ou d’interdiction voulus, pour en prévenir la commission :

a) expulser les populations de chez elles et les déplacer de force ;

b) priver les populations :

i) d’un accès approprié à l’eau et à la nourriture,

ii) d’un accès à l’aide humanitaire, notamment en ce qui concerne les besoins en combustible, abris, vêtements, hygiène et assainissement,

iii) de soins de santé et de fournitures médicales ; et

c) détruire la vie palestinienne à Gaza.

6) L’État d’Israël doit, en ce qui concerne les Palestiniens, veiller à ce qu’aucune de ses unités militaires, aucune unité armée irrégulière ou personne qui agirait sous sa direction, avec son appui ou en étant d’une autre manière influencée par lui, et aucune organisation ou personne qui se trouverait sous son contrôle, sa direction ou son influence ne commette l’un quelconque des actes visés aux points 4) et 5) - 3 - ci-dessus ou ne se livre à un quelconque acte constitutif d’incitation directe et publique à commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, de tentative de génocide ou de complicité dans le génocide, et veiller à ce que, si de tels actes sont commis, des mesures soient prises pour en punir les auteurs, conformément aux articles premier, II, III et IV de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

7) L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes relevant de l’article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ; à cette fin, il doit s’abstenir de refuser ou de restreindre l’accès à Gaza des missions d’établissement des faits, titulaires de mandats internationaux et autres organismes chargés d’aider à la protection et à la conservation desdits éléments de preuve.

8) L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans un délai d’une semaine à compter de la date de celle-ci, puis à intervalles réguliers, tels que fixés par la Cour, jusqu’à ce qu’une décision ait été définitivement rendue en l’affaire. Les rapports devront être publiés par la Cour.

9) L’État d’Israël doit s’abstenir de commettre, et faire en sorte de prévenir, tout acte susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour ou d’en rendre le règlement plus difficile. »

Position d’Israël :

« Conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour, et pour les motifs exposés au cours de l’audience du 12 janvier 2024, ainsi que pour tous autres motifs que la Cour pourrait juger appropriés, l’État d’Israël prie celle-ci :

1) de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires soumise par l’Afrique du Sud ; et

2) de radier l’affaire de son rôle. »

L’affaire portée par l’Afrique du sud contre Israël a été précédée par d’autres affaires concernant d’autres Etats sur l’application et l’interprétation de la convention contre le Génocide. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la convention de 1948, que ce soit au titre de la compétence consultative (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 15) ou contentieuse dans les affaires suivantes :

- Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro). L’affaire introduite en 1993 a donné lieu à deux ordonnances en indication de mesures provisoires, le 8 avril et le 13 septembre 1993 ; un arrêt sur les exceptions préliminaires le 11 juillet 1996 et un arrêt au fond le 26 février 2007.

-        Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie). L’affaire introduite le 2 juillet 1999 a donné lieu à un arrêt le 18 novembre 2008 sur les exceptions préliminaires et un arrêt le 3 février 2015 sur le fond.

-        Allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie : 32 États intervenants)[13]. L’affaire introduite le 27 février 2022 est encore pendante. Elle a donné lieu à une ordonnance en indication de mesures conservatoires le 16 MARS 2022 et à un arrêt sur les exceptions préliminaires le 2 février 2024.

-        Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar). L’affaire introduite le 11 novembre 2019 est encore pendante. Elle a donné lieu à une ordonnance en indication de mesures provisoires le 23 janvier 2020 et un arrêt le 22 juillet 2022 sur les exceptions préliminaires.

A la lumière de toutes ces affaires portant pratiquement sur l’application et l’interprétation de la même convention, il y a lieu de souligner que l’affaire de l’Afrique du sud contre Israël connaitra le même cheminement, à savoir : une ou plusieurs ordonnances en indication de mesures provisoires, un arrêt sur les exceptions préliminaires et un arrêt au fond dans le meilleur des cas dans quatre ans.

2.     L’ordonnance du 26 janvier 2024 en indication de mesures conservatoires

 

14 jour après la clôture des plaidoiries, la CIJ a rendu son ordonnance en indication de mesure provisoires à la quasi-unanimité des juges. Seuls la juge ougandaise, Mme Sebutinde[14] et le juge ad hoc israélien M. Barak ont voté contre les paragraphes 1, 2, 5 et 6 paragraphes du dispositif de l’ordonnance ; alors que seule Mme Sebutinde a voté contre tous les paragraphes du dispositif[15].

 

Avant d’en arriver aux demandes formulées par l’Afrique du sud, la Cour s’est prononcée dans un premier temps sur sa compétence prima facie. Pour cela, elle devait s’assurer de l’existence d’un différend entre l’Afrique du sud et Israël et ce conformément à l’article XI de la convention sur le génocide qui « subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution dudit instrument » (§19). A cet effet, la Cour « rappelle que, pour déterminer s’il existait un différend entre les Parties au moment du dépôt de la requête, elle tient compte notamment de toute déclaration ou de tout document échangé entre les Parties, ainsi que de tout échange ayant eu lieu dans des enceintes multilatérales » (§25). Elle constate, d’une part que l’Afrique du sud « a fait, dans différentes enceintes multilatérales et bilatérales, des déclarations publiques dans lesquelles elle a dit estimer, au vu de la nature, de la portée et de l’ampleur des opérations militaires menées par Israël à Gaza, que les actions de celui-ci étaient constitutives de manquements à ses obligations au regard de la convention sur le génocide » (§26) et que d’autre part, Israël « a écarté toute accusation de génocide dans le contexte du conflit à Gaza » (§27). De cette opposition «la Cour considère que les Parties semblent avoir des points de vue nettement opposés quant à la question de savoir si certains actes ou omissions reprochés à Israël à Gaza sont constitutifs de manquements par celui-ci aux obligations prévues par la convention sur le génocide » (§28). A la lumière de cela, « la Cour [devait] établir si les actes et omissions dont le demandeur tire grief semblent susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le génocide […]. De l’avis de la Cour, au moins certains des actes et omissions que l’Afrique du Sud reproche à Israël à Gaza semblent susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention » (§30). Par conséquent « la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide pour connaître de l’affaire ».

 

Quant à la qualité pour agir de l’Afrique du sud, « la Cour a conclu que tout État partie à la convention sur le génocide peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie, notamment par l’introduction d’une instance devant la Cour, en vue de faire constater le manquement allégué de ce dernier à des obligations erga omnes partes lui incombant au titre de la convention et d’y mettre fin ».

 

Pour indiquer les mesures provisoires, la Cour se base sur des rapports d’organes compétents des NU. Elle « note que l’opération militaire conduite par Israël à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023 a fait de très nombreux morts et blessés et causé la destruction massive d’habitations, le déplacement forcé de l’écrasante majorité de la population et des dommages considérables aux infrastructures civiles. Même si les chiffres relatifs à la bande de Gaza ne peuvent faire l’objet d’une vérification indépendante, des informations récentes font état de 25 700 Palestiniens tués, de plus de 63 000 autres blessés, de plus de 360 000 logements détruits ou partiellement endommagés et d’environ 1,7 million de personnes déplacées à l’intérieur de Gaza (voir Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies (OCHA), Hostilities in the Gaza Strip and Israel  reported impact, Day 109 (24 Jan. 2024)) » (§40).

 

Les mesures prononcées par la Cour, même si elles ne reprennent pas in extenso, les demandes de l’Afrique du sud vont dans leur direction. En conséquence, la Cour a prononcé les mesures suivantes :

 

« 1. L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :

a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

 2) Par quinze voix contre deux, L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;

3) Par seize voix contre une, L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

4) Par seize voix contre une, L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;

5) Par quinze voix contre deux, L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;

6) Par quinze voix contre deux, L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. »  

La première mesure a une grande portée et emporte des conséquences importantes. En effet, le fait que la Cour ordonne à Israël de  « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe » implique ipso facto qu’Israël arrête ses frappes aériennes  et ses attaques terrestres et maritimes, sinon on voit mal comment on parviendrait à éviter le meurtre de membres du groupe, etc. avec la poursuite de l’offensive  armée israélienne. Il en est de même pour la deuxième mesure qui demande à Israël de « veiller, avec effet immédiat[16], à ce que son armée ne commette aucun » de ces actes. Cette deuxième mesure donne un sens à l’initiative prise par le Secrétaire général des NU, qui, sitôt l’ordonnance émise, a pris ses responsabilités en transmettant l’ordonnance au CS[17]. L’ordonnance est en soi exécutoire, mais l’initiative du SG semble indiquer que ce dernier voudrait que le CS saisisse cette base juridique pour enfin, ordonner un cessez-le-feu immédiat. Quant à la sixième mesure relative à la soumission d’un rapport dans un délai d’un mois à partir de la date de l’ordonnance, elle constitue un moyen de pression supplémentaire pour assurer l’effectivité de la décision.

Plusieurs voix ont reproché à la Cour de n’avoir pas ordonné un cessez- le- feu. Pourtant, l’attitude de la Cour est compréhensible. En effet, une telle mesure ne peut être ordonnée qu’entre deux belligérants ; or seul Israël est partie à l’instance, alors que Hamas, entité non-étatique, en est absente de l’instance et ne peut être partie dans une affaire traitée devant une juridiction interétatique. Par ailleurs, cette question dépassait la compétence, même établie prima facie, de la CIJ : celle-ci est saisie sur la base de la convention contre le génocide. Elle ne pouvait donc statuer que sur la question de savoir s’il existe un différend juridique entre l’Afrique du sud et Israël sur l’interprétation et l’application de cette convention et ce, contrairement à l’affaire, portant la même convention, opposant l’Ukraine à la Russie et qui a donné lieu à une mesure ordonnant suspension de l’opération russe[18].

Bien évidemment, Israël par les voix de son premier ministre et de son ministre de la défense ont affirmé leur intention de poursuivre leurs opérations militaires à Gaza et ont accusé la CIJ de partialité, voire d’antisémitisme. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une décision, fut-elle conservatoire ne préjugeant pas du fond de l’affaire, salutaire pour la cause palestinienne non seulement sur le plan des principes juridiques, mais également sur le plan politique. Elle donne à la question palestinienne une nouvelle légitimité et de nouvelles perspectives.

II.                       LA COUR PENALE IINTERNATIONALE

La Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du Statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales. La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. En vertu du Statut, la Cour a compétence à l'égard des crimes suivants : a) Le crime de génocide ; b) Les crimes contre l'humanité ; c) Les crimes de guerre ; d) Le crime d'agression. [19].

Le Statut de Rome est le traité international qui a fondé la Cour pénale internationale. Il est adopté lors d'une conférence diplomatique qui se déroule du 15 juin au 17 juillet 1998 à Rome. Il entre en vigueur le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60 États[20]. La compétence de la Cour n’étant pas rétroactive, elle traite les crimes commis à compter de cette date[21].

La Cour peut exercer sa compétence à l'égard de l’un de ces quatre crimes de trois manières : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article 15

Concernant la Palestine, deux renvois ont été adressés au Procureur de la Cour. L’un émanant de l’Etat de Palestine relativement aux crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le cadre de la situation depuis le 13 juin 2014 (A). L’autre émanant de cinq Etats relativement à la situation dans la Bande de Gaza suite aux opérations israéliennes déclenchées depuis le 7 octobre 2023 (B).

A.     Crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le cadre de la situation depuis le 13 juin 2014

a.     L’ouverture d’une enquête

Une enquête a été ouverte sur les Crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le cadre de la situation depuis le 13 juin 2014, date mentionnée dans le renvoi de la situation adressé au Bureau du Procureur. En effet, le 3 mars 2021, le Procureur, Fatou Ben Souda a annoncé[22] l'ouverture d'une enquête sur la situation dans l'État de Palestine. Cette annonce faisait suite à la décision rendue par la Chambre préliminaire I le 5 février 2021, laquelle a estimé que la Cour pouvait exercer sa compétence pénale dans la situation en cause, et a statué, à la majorité de ses juges, que sa compétence territoriale[23]

Le 1er janvier 2015, le Gouvernement palestinien (la « Palestine ») a déposé une déclaration en vertu de l'article 12-3 du Statut de Rome reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés commis « sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le 13 juin 2014 ».

Le 2 janvier 2015, la Palestine a adhéré au Statut de Rome en déposant son instrument d'adhésion auprès du Secrétaire général de l'ONU. Le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er avril 2015 à l'égard de la Palestine.

Le 16 janvier 2015, le Procureur a annoncé l'ouverture d'un examen préliminaire concernant la situation dans l'État de Palestine afin de déterminer si les critères définis par le Statut de Rome pour l'ouverture d'une enquête étaient remplis. Plus précisément, en vertu de l'article 53‑1 du Statut de Rome, le Procureur doit tenir compte des questions de compétence, de recevabilité et des intérêts de la justice pour prendre cette décision.

Le 22 mai 2018, en vertu des articles 13‑a et 14 du Statut de Rome, le Gouvernement palestinien a déféré au Procureur la situation en Palestine[24] depuis le 13 juin 2014, sans préciser de date d'échéance[25].

Le 20 décembre 2019, le Procureur a annoncé qu'au terme d'un examen approfondi, mené en toute indépendance et objectivité, de l'ensemble des renseignements fiables qui sont en la possession de son Bureau, ce dernier est parvenu à la conclusion que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l'ouverture d'une enquête étaient remplis.

Cependant, compte tenu de la complexité des questions factuelles et de droit liées à la situation en Palestine, le Procureur a annoncé son intention de demander aux juges de la Chambre préliminaire I de se prononcer clairement sur l'étendue de la compétence territoriale de la Cour dans le cadre de cette situation. Dans sa demande datée du 22 janvier 2020, le Bureau a alors exposé sa position quant au droit et a invité la Chambre à s'enquérir des opinions et des arguments de l'ensemble des parties prenantes avant de se prononcer sur la question spécifique de compétence dont elle était saisie.

b.     L’arrêt de la Chambre préliminaire I

Dans sa demande datée du 22 janvier 2020, le Procureur a exposé dans le détail de sa position quant au droit et invité la Chambre à s'enquérir des opinions et des arguments de l'ensemble des parties prenantes avant de se prononcer sur la question spécifique de compétence dont elle était saisie, et c'est ce qu'elle a fait après avoir pris connaissance des vues de chacun.

Le 5 février 2021, la Chambre a statué, à la majorité de ses juges, que la Cour pouvait exercer sa compétence pénale dans la situation en Palestine et que sa compétence territoriale s'étendait à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Dans cette décision rendue à la majorité, la Chambre a insisté sur le fait qu'elle n'avait pas vocation à déterminer si la Palestine était un État au vu du droit international public, ni à se prononcer sur un différend frontalier ou à préjuger de la question d'éventuelles futures frontières. Sa décision avait pour seul objectif de définir la portée de la compétence territoriale de la Cour, pour les besoins du Statut de Rome, tel qu'il le lui avait été demandé. Les questions sur lesquelles la Chambre ne s'est pas prononcée et à propos desquelles mon Bureau n'a pas pris position devront être déterminées par les autorités israéliennes et palestiniennes, lors de discussions bilatérales en vue d'un accord.

B.    Le renvoi émanant de cinq États parties sur la situation dans l’État de Palestine

Le 17 novembre 2023, le Bureau du Procureur, Karim Khan, a reçu, sur la base des articles 13(a)[26] et 14[27] du Statut de Rome un renvoi concernant la situation dans l'État de Palestine, émanant de 5 Etats, à savoir : l'Afrique du Sud, du Bangladesh, de la Bolivie, des Comores et de Djibouti.

Dès réception du renvoi, le Procureur a confirmé qu'il menait actuellement une enquête sur la situation dans l'État de Palestine, qui reste en cours et s'étend à l'escalade des hostilités et de la violence depuis les attaques survenues le 7 octobre 2023.

Le 18 janvier 2024, la République du Chili et les États-Unis mexicains ont soumis un renvoi additionnel au Procureur concernant la situation en Palestine faisant actuellement l’objet d’une enquête, et ont réitéré leur engagement à coopérer avec la Cour.

Conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, un État partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et le prier d’enquêter sur la situation afin de déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes.

Après ce renvoi, le Bureau du Procureur n’a pas dissocié la situation née après le 7 octobre 2023 de la situation précédente. Il a confirmé qu’il mène actuellement une enquête sur la situation dans l’État de Palestine qui a débuté le 3 mars 2021 et porte sur des faits remontant au 13 juin 2014 à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, qui pourraient constituer des crimes relevant du Statut de Rome.

Pour le Bureau de Procureur, cette situation se poursuit et s’étend à l'escalade des hostilités et de la violence depuis les attentats du 7 octobre 2023. Pour lui, conformément au Statut de Rome, le Bureau est compétent pour connaître des crimes commis sur le territoire d’un État partie et par les ressortissants d’un tel État.

Lors de sa visite au point de passage de Rafah, le 29 octobre 2023, le Procureur Karim Khan[28], a précisé qu’une équipe dédiée à l’enquête relative à la situation dans l’État de Palestine s’efforce, conformément à son mandat, de recueillir, de préserver et d’analyser les informations et les communications transmises par les principales parties prenantes concernant les faits pertinents[29]. D’après lui, le Bureau a recueilli un volume important d’informations et de preuves, notamment par le biais de renseignements transmis via OTP Link, la plateforme sécurisée de transmission d’informations. Le procureur réitère mon appel à l’intention de tous ceux qui ont des renseignements pertinents et les invite à prendre contact avec son Bureau.

Le Bureau du Procureur s’est engagé à poursuivre son dialogue avec tous les acteurs concernés, qu’il s'agisse des autorités nationales, de la société civile, des groupes de survivants ou des partenaires internationaux, afin de faire avancer cette enquête. 

Il s’est engagé à poursuivre également ses efforts pour se rendre dans l’État de Palestine et en Israël afin de rencontrer des survivants, de dialoguer avec des organisations de la société civile et avec mes homologues nationaux concernés. Il s’est dit prêt à travailler avec toutes les parties, notamment pour compléter les efforts nationaux visant à amener les auteurs de crimes relevant du Statut de Rome à rendre des comptes et à rendre justice aux personnes touchées par ces crimes. 

Cette attitude attentiste et ces déclarations du Procureur sont assez préoccupantes surtout si on les compare avec la célérité de l’action à propos de la situation en Ukraine dans laquelle, le 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II a délivré, suite à la demande du Procureur présentée le 22 février 2023, des mandats d’arrêt à l’encontre Vladimir Poutine et Maria Alekseïevna Lvova-Belova[30].

L’ordonnance en indication de mesures provisoires rendue le 26 janvier 2024 par la CIJ pèsera lourd, sans doute, parmi les éléments de preuve de l’enquête, et éventuellement de l’engagement d’un procès contre les personnes accusées de crimes de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide en Palestine.

***

Tel est l’état de la question palestinienne devant les juridictions internationales. La question connaitra de nouveaux éclairages et prendra une nouvelle dimension au fur et à mesure du prononcé des ordonnances, arrêts et avis consultatifs. Le fait d’avoir des décisions juridictionnelles renforce le combat politique et diplomatique et lui donne une consistance juridique solide.

Suite aux évènements consécutifs aux 7 octobre 2023 et à l’ordonnance de la CIJ, la question palestinienne est revenue à la une de l’actualité internationale. La solution des deux Etats est remise à l’ordre du jour comme seule solution susceptible de garantir la paix et la sécurité internationales dans la région, le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à un Etat indépendant. Même les Etats-Unis se sont rallié publiquement et officiellement à cette solution[31]. 

 

 

 

 



[1] La Conférence de San Remo a déterminé les frontières des territoires capturés par les Alliés. La décision a été prise d'incorporer la Déclaration de Balfour dans le mandat de la Grande-Bretagne en Palestine. La Grande-Bretagne a été rendue responsable "de la mise en œuvre de cette déclaration. La France se voit attribuer un mandat sur la Syrie et le Liban - Outre la Palestine, la Grande-Bretagne obtient un mandat sur la Mésopotamie. Le vilayet de Mossoul, dont les droits sont abandonnés par la France depuis décembre 1918, est placé sous tutelle britannique contre l’octroi à la France d’une participation de 25 % à l’exploitation des gisements de pétrole.

[2] La Déclaration Balfour est une lettre ouverte comptant 67 mots, datée du 2 novembre 1917 et signée par Arthur Balfour, secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères (Foreign Secretary) dans le gouvernement de David Lloyd George. Elle est adressée à Lionel Walter Rothschild (1868-1937), personnalité éminente de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste, aux fins de retransmission.Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine d'un projet national (présenté comme « un foyer national pour le peuple juif », traduction de « a national home for the Jewish people »). Cette déclaration est considérée comme une des premières étapes dans la création de l'État d'Israël.

[3] Le plan de partition prévoit également de maintenir un contrôle britannique sur Jérusalem, Bethléem et Nazareth, ainsi que sur un corridor s’étendant jusqu’à la côte méditerranéenne.

[4] Résolution n° 181 (II) du 29 novembre 1947 intitulée « Gouvernement futur de la Palestine ».

[5] « a.  L'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique.

b.      Tous autres organes de l'Organisation et institutions spécialisées qui peuvent, à un moment quelconque, recevoir de l'Assemblée générale une autorisation à cet effet ont également le droit de demander à la Cour des avis consultatifs sur des questions juridiques qui se poseraient dans le cadre de leur activité ».

[6] Comme le font, par exemple, la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations Unies et l'accord de siège entre l'Organisation des Nations Unies et les Etats-Unis d'Amérique

[7]  Organisation intergouvernementale rassemblant quarante-deux pays d’Europe et du bassin méditerranéen : les vingt-sept États membres de l’Union européenne et quinze pays méditerranéens partenaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe du Sud-Est. Son secrétariat général se situe à Barcelone. L'UpM est fondée le 13 juillet 2008, lors du Sommet de Paris pour la Méditerranée. L'organisation est destinée à renforcer le Partenariat euro-méditerranéen (Euromed) mis en place en 1995 sous le nom de Processus de Barcelone

[8] L'article 36 du Statut de la Cour dispose en son paragraphe 1 que la compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront. Dans ces cas, la Cour est normalement saisie par la notification au Greffe d'un accord, dit compromis, conclu spécialement à cet effet par les parties[8]. L'objet du différend et les parties doivent être indiqués (Statut, art. 40, par. 1 ; Règlement, art. 39).

[9] Le paragraphe 1 de l'article 36 du Statut dispose également que la compétence de la Cour s'étend aux cas spécialement prévus dans les traités et conventions en vigueur. La Cour est alors normalement saisie par une requête introductive d'instance, acte unilatéral qui doit indiquer l'objet du différend et les parties (Statut, art. 40, par. 1) et, autant que possible, les moyens des droits sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour (Règlement, art. 38).

[10] Le Statut prévoit qu'un Etat peut reconnaître comme obligatoire la juridiction de la Cour sur des différends d'ordre juridique à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation. Dans ces cas, la Cour est saisie par requête. Les conditions dans lesquelles cette reconnaissance peut être effectuée sont énoncées aux paragraphes 2 à 5 de l'article 36 du Statut[10].

[11] Si un Etat n'a pas reconnu la compétence de la Cour au moment du dépôt, contre lui, d'une requête introductive d'instance, il a toujours la possibilité d'accepter cette compétence ultérieurement, pour permettre à la Cour de connaître de l'affaire: en pareil cas, la Cour est compétente au titre de la règle dite du forum prorogatum.

 

[12] Voir : Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 223, par. 50

[13] C’est la première fois qu’un État lui demande d’exercer cette compétence pour examiner des allégations de génocide proférées par un autre État comme prétexte à un recours à la force et pour en établir l’illicéité.

[14] Voir : Dissenting Opinion Of Judge Sebutinde, https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240126-ord-01-02-en.pdf ; Sommaire : « Selon ma respectueuse opinion dissidente, le différend entre l'État d'Israël et le peuple de Palestine est essentiellement et historiquement un différend politique, qui appelle un règlement diplomatique ou négocié et la mise en œuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité par toutes les parties concernées, en vue de trouver une solution permanente permettant aux peuples israélien et palestinien de coexister pacifiquement - Il ne s'agit pas d'un différend juridique susceptible de faire l'objet d'un règlement judiciaire par la Cour - Certaines des conditions préalables à l'indication de mesures conservatoires n'ont pas été remplies - L'Afrique du Sud n'a pas démontré, même prima facie, que les actes prétendument commis par Israël et dont se plaint le requérant ont été commis avec l'intention génocidaire nécessaire, et que l'Afrique du Sud n'a pas démontré que les actes prétendument commis par Israël et dont se plaint le requérant ont été commis avec l'intention génocidaire nécessaire. et que, par conséquent, ils sont susceptibles de relever du champ d'application de la convention sur le génocide - De même, étant donné que les actes prétendument commis par Israël n'étaient pas accompagnés d'une intention génocidaire, le demandeur n'a pas démontré que les droits qu'il revendique et dont il cherche à obtenir la protection par l'indication de mesures conservatoires sont plausibles au regard de la convention sur le génocide - Les mesures conservatoires indiquées par la Cour dans la présente ordonnance ne se justifient pas ».

[15] "La décision de la juge Sebutinde à la CIJ (Cour internationale de justice) ne représente pas la position du gouvernement ougandais sur la situation en Palestine. Le soutien de l'Ouganda au sort du peuple palestinien a été exprimé par notre vote aux Nations unies", précise Mme Ayebare, la représentante permanente de l'Ouganda auprès de l'ONU. La précision est superflue, les juge à la CIJ n’étant pas les représentant de l’Etat dont ils portent la nationalité. Il en est de même pour les juge ad hoc, nommés par les parties n’ayant pas de juges portant leur nationalité sur le siège de la Cour. Eux-mêmes ne sont pas les représentants de leurs Etats.

 

[16] C’est nous qui soulignons.

[17] « Le Secrétaire général rappelle que, conformément à la Charte et au Statut de la Cour, les décisions de la Cour sont contraignantes et espère que toutes les parties se conformeront dûment à l'ordonnance de la Cour. Conformément au Statut de la Cour, le Secrétaire général transmettra dans les meilleurs délais au Conseil de sécurité la notification des mesures conservatoires ordonnées par la Cour ». https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2024-01-26/statement-attributable-the-spokesperson-for-the-secretary-general-icj,

[18] « La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine », Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), demande en indication de mesures conservatoires, 16 mars 2022 ordonnance.

[19] Voir : Cour pénale internationale, Aider à bâtir un monde plus juste : mieux comprendre la Cour pénale internationale, La Haye.

[20]  123 pays sont États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Parmi eux :

·        33 sont des membres du groupe des États d'Afrique ;

·        19 sont des membres du groupe des États d’Asie et du Pacifique ;

·        18 sont des membres du groupe des États d'Europe Orientale ;

·        28 sont des membres du groupe des États d'Amérique Latine et des Caraïbes ;

·        25 sont des membres du groupe des États d'Europe occidentale et autres États.

139 États sont signataires du Statut. Le Burundi a été un État partie de la date d'entrée en vigueur du Statut à son égard (le 1er décembre 2004) à la fin de l'année suivant l'annonce de son retrait (le 26 octobre 2017). Ce retrait a pris effet le 27 octobre 2017

[21]  A ce jour, la Cour a ouvert une enquête dans dix-sept situations : Ouganda (2004), République démocratique du Congo (2004), Soudan (2005), Centrafrique I (2007), Kenya (2010), Libye (2011), Côte d'Ivoire (2011), Mali (2013), Centrafrique II (2014), Géorgie (2016), Burundi (2017), Bangladesh/Birmanie (2019), Afghanistan (2020), Palestine (2021), Philippines (2021), Venezuela I (2021) et Ukraine (2022). 5 enquêtes sont closes et 12 sont en cours.

Trois examens préliminaires sont actuellement en cours : Venezuela II (2020) et Bolivie (2022), RDC II (2023).

[22] Déclaration du Procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, à propos d’une enquête sur la situation en Palestine : « Aujourd'hui, je confirme l'ouverture d'une enquête par le Bureau du Procureur (le « Bureau ») de la Cour pénale internationale (la « CPI » ou la « Cour ») à propos de la situation en Palestine. Cette enquête portera sur les crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le cadre de cette situation depuis le 13 juin 2014, date à laquelle le renvoi de la Situation en Palestine à mon Bureau fait référence.

Le Bureau déterminera, en temps voulu, la façon dont il fixera les priorités dans son enquête, à la lumière des difficultés liées aux opérations auxquelles nous sommes confrontés en raison de la pandémie, des ressources limitées dont nous disposons et de la lourde charge de travail qui pèse sur nous. Toutefois, ces difficultés, aussi redoutables et complexes soient elles, ne parviendront, en définitive, en aucun cas à détourner le Bureau des responsabilités qui lui incombent au regard du Statut de Rome.

Conformément au Statut de Rome, le Bureau du Procureur est tenu d'agir lorsqu'un État partie lui défère une situation et qu'il est établi qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête. Dans un premier temps, il doit le notifier à tous les États parties et aux États qui auraient normalement compétence à l'égard des crimes en cause, ce qui autorise ainsi tout État concerné à demander au Bureau de le laisser enquêter sur ses ressortissants ou d'autres personnes relevant de sa compétence pour des crimes visés par le Statut de Rome dont il est question dans la notification (sous réserve d'un éventuel examen par la Chambre préliminaire).

Toute enquête que le Bureau entreprendra en définitive sera menée en toute indépendance, impartialité et objectivité, sans crainte ni parti pris. Au vu du Statut de Rome, afin d'établir la vérité, le Bureau est tenu d'étendre l'enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour déterminer l'existence d'une responsabilité pénale au regard du Statut et, ce faisant, d'enquêter tant à charge qu'à décharge.

La décision d'ouvrir une enquête fait suite à l'examen préliminaire minutieusement mené par mon Bureau pendant près de cinq ans. Au cours de cette période, conformément à la pratique établie par le Bureau, ce dernier a été en contact avec un grand nombre de parties prenantes et a notamment eu régulièrement des échanges fructueux avec des représentants des Gouvernements palestinien et israélien.

Sur la base de ces échanges, nous savions que la question de la compétence territoriale de la Cour dans le contexte de la situation en Palestine devait être résolue. En tant qu'organe responsable chargé des poursuites, nous avons alors entrepris d'obtenir au préalable une décision judiciaire sur cette question, car il nous semblait crucial d'obtenir d'emblée ces précisions afin que les futures enquêtes reposent sur une base solide et éprouvée sur le plan juridique.

Par conséquent, le 20 décembre 2019, consciente de la complexité de la situation en cause et des questions inédites découlant de celle-ci, j'ai annoncé mon intention de demander aux juges de la Chambre préliminaire I (la « Chambre ») de se prononcer clairement sur l'étendue de la compétence territoriale de la Cour dans le cadre de la situation en Palestine ».

[23] رافع ابن عاشور: "تكريس للحق الفلسطيني أمام المحكمة الجنائية الدولية". ليدرز. (النسخة الإلكترونية).  07/02/2021

[24] Déclaration de Mme Fatou Ben Souda « Aujourd'hui, le 22 mai 2018, le Gouvernement de l'État de Palestine (la « Palestine »), État partie au Statut de Rome, m'a adressé un renvoi concernant la situation en Palestine depuis le 13 juin 2014, sans précision de date d'échéance. Plus précisément, en vertu des articles 13-a et 14 of du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (la « Cour » ou « CPI »), l'État de Palestine « demande au Procureur d'enquêter, conformément à la compétence temporelle de la Cour, sur les crimes relevant de la compétence de cette dernière qui ont été commis, qui se poursuivent à l'heure actuelle ou qui seront commis ultérieurement sur tout le territoire de l'État palestinien ». Comme le prévoit la norme 45 du Règlement de la Cour, j'ai informé la Présidence de la CPI de ce renvoi »

[25] Un tel renvoi ne débouche pas automatiquement sur l'ouverture d'une enquête, puisque le Procureur doit déterminer au préalable si les critères définis dans le Statut pour l'ouverture d'une enquête sont satisfaits.

[26] « La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ».

[27] Article 14 : « Renvoi d'une situation par un État Partie

1. Tout État Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d'enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs Statut de Rome de la Cour pénale internationale 12 personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes.    2. L'État qui procède au renvoi indique autant que possible les circonstances pertinentes de l'affaire et produit les pièces à l'appui dont il dispose ».

[29] Dès le début de son mandat en juin 2021, le Procureur a mis en place pour la première fois une équipe unifiée dédiée à l’examen de la situation en Palestine.

[30] « Il existe des motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine est individuellement responsable au pénal des crimes susmentionnés, i) pour avoir commis ces crimes directement, conjointement avec d’autres personnes et/ou par l’intermédiaire d’autres personnes (article 25-3-a du Statut de Rome), et ii) pour avoir omis d’exercer le contrôle qui convenait sur les subordonnés civils et militaires qui ont commis ces crimes ou ont permis qu’ils soient commis, et qui étaient sous son autorité et son contrôle effectifs, conformément aux règles relatives à la responsabilité du supérieur hiérarchique (article 28-b du Statut de Rome). Au vu des demandes présentées par l’Accusation le 22 février 2023, la Chambre préliminaire II a estimé qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la responsabilité de chacun des suspects est engagée à raison du crime de guerre de déportation illégale de population et du crime de guerre de transfert illégal de population depuis certaines zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie, ces crimes ayant été commis à l’encontre d’enfants ukrainiens ».

[31] À l’occasion de l’événement annuel du National Prayer Breakfast, à Washington (1er février 2024), le président américain, Biden, a indiqué qu’il travaillait « jour et nuit » pour « libérer les otages, atténuer la crise humanitaire, et apporter une paix durable avec deux États pour deux peuples ». (I’m engaged on this day and night and working, as many of you in this room are, to find the means to bring our hostages home, to ease the humanitarian crisis, and to bring peace to Gaza and Israel — an enduring peace with two states for two people ». https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2024/02/01/remarks-by-president-biden-at-the-national-prayer-breakfast-3/